Après les digressions humoristiques consacrées aux culs-de jatte et aux gauchers, notre ami Saad Khiari propose un autre texte, de la même veine, celle d’une réflexion censée et responsable habillée de cet humour qu’il manie avec dextérité.
Sans mauvais goût, sans toucher aux fondamentaux et principes sacrés de notre religion, l’auteur évoque des questions pertinentes qui alimenteront de jolie manière la réflexion en ce mois sacré de Ramadan.
FY
Bonne nouvelle !
Les internautes et les lecteurs apprécient l’autodérision et le second degré même lorsqu’on aborde les questions religieuses.
Il suffit de leur offrir un espace de discussion pour savoir qu’ils n’ont pas l’islam triste et qu’ils n’ont rien contre la fantaisie, considérée par les nouveaux prédicateurs comme le loisir du diable.
On peut rire des choses sérieuses à la condition de les contextualiser, d’être respectueux et de ne pas confondre l’essentiel et le superflu, le sacré et le profane et surtout de ne pas opposer la foi à la raison.
A titre d’exemple, on peut faire référence aux élucubrations pied droit-pied gauche, main droite-main gauche, proposées récemment dans nos colonnes, (numéros 1116 et 1117 de La Nouvelle Tribune) et sur le portail www.lnt.ma, (https://lnt.ma/pied-droit-pied-gauche/, https://lnt.ma/main-droite-main-gauche/),
et se réjouir d’avoir suscité beaucoup d’intérêt et de plaisir sans avoir touché au sacré ni aux fondamentaux de l’islam.
On peut profiter de cette fenêtre pour aborder d’autres questions qui dérangent par leur apparente agressivité et leur irrévérence mais qui en aucune manière ne touchent à la dignité humaine. A bon entendeur, salut ! On pourrait par exemple se demander :
Pourquoi il n’y a pas d’imam cul-de-jatte ?
Du moins à ma connaissance et en considérant le ministère de l’imam dans toute l’acception du terme. On pense naturellement à la direction de la prière et en particulier à celle du vendredi. Et c’est là qu’il y a un problème.
On sait qu’un handicap physique aussi majeur soit-il, n’altère en rien ni la foi, ni le savoir, ni les capacités d’analyse et de jugement, mais il pose problème pour l’exercice de certains rituels dans la partie gestuelle, dont la symbolique prend souvent le pas sur le fond auprès de la majorité des fidèles.
Et quand on sait qu’en matière de religion et de spiritualité, le symbole est le raccourci le plus recherché et le plus protégé, et qu’il est considéré comme le fondement même de la tradition, on doit prendre garde à ne pas en altérer le message.
Expliquons-nous calmement et évitons toute mauvaise pensée.
Si les prières habituelles peuvent être effectuées ou dirigées par les handicapés moteurs ou les personnes âgées qui peuvent par conséquent prier assis, il en va autrement pour la grande prière du vendredi dont la solennité est de la plus haute importance. Or on ne peut exclure un certain malaise pouvant faire désordre lorsqu’il s’agira pour l’imam handicapé de monter les marches du minbar, de s’asseoir entre les deux prêches et d’en descendre.
Certes, on peut imaginer l’aide de deux fidèles, zélés et costauds, pour le porter jusqu’à la plus haute marche.
Certes, on peut imaginer que l’imam handicapé peut symboliquement simuler l’escalade avec ses doigts, mais dans ce cas, il ne sera visible que par les premiers rangs de fidèles.
Ce qui, non seulement altère quelque peu la solennité du rituel, mais risque de provoquer la bousculade dès l’ouverture des portes des mosquées dans la course aux premiers rangs.
Et point n’est besoin d’être grand clerc pour imaginer les risques d’accidents lors des inévitables échauffourées dans la course aux places tant convoitées, épreuve dans laquelle sont éliminés d’office les personnes âgées, les handicapés moteurs tels que les unijambistes et les culs-de-jatte évidemment ; victimes d’une double peine en l’occurrence.
Or, quand on pense aux empoignades qui ont lieu devant la Kaaba même, à La Mecque même, suivies souvent de jurons et d’insultes frisant le péché et le blasphème dans l’espace le plus sacré pour les Musulmans, on imagine aisément sous des cieux plus lointains et moins regardants, les débordements verbaux les plus crus et les gestes déplacés ; voire la castagne dans toutes ses variantes.
Ce risque est réel et rien ne sert de rêver d’un comportement soudain idyllique qui est, loin s’en faut, la qualité la moins partagée des hommes lorsqu’il y a course aux bonnes places, qu’il s’agisse de réunions spirituelles ou de spectacles profanes.
La question de cette absence d’imams culs-de-jatte est posée même si à première vue elle dérange.
Elle peut paraître stupide ou absurde ; elle n’a rien d’incongru ni de méchant.
Elle a pour ambition de nous habituer à nous poser les questions même les plus loufoques ou les plus saugrenues, de nous apprendre à aborder – pourquoi pas avec le sourire quelquefois – les sujets les plus difficiles et les plus gênants sans nous envoyer des insultes à la figure, ni porter de jugements, et surtout sans nous départir du sens de l’humour et de l’autodérision qui manquent cruellement à nos sociétés et dont les immenses vertus ne sont plus à prouver.
Saad Khiari
Cinéaste-auteur