Mme Bariza Khiari, ex-Vice-Présidente du SÉNAT, Représentante de la France et Vice-Présidente d’ALIPH, (Alliance pour la réhabilitation du patrimoine dans les zones de conflits) dont le MAROC est membre, participe actuellement au 11 ème Festival de la Culture Soufie qui se tient à Fès, sous le thème générique de la « Présence du Soufisme ».
Dans le cadre de cette manifestation qui doit tant à M. Faouzi Skalli, président du Festival, Mme Bariza Khiari a présenté une communication sur les Mausolées de Tombouctou au cours de la journée du lundi 22 octobre dans le cadre si évocateur de la Médersa Bounaniya.
Nous publions ci-après l’intégralité de son intervention ainsi que de larges extraits de son curriculum vitae.
La destruction des mausolées de Tombouctou est l’illustration d’une entreprise qui veut : Détruire le passé, détruire la différence et détruire l’humanité.
Avant d’aborder Tombouctou faisons un détour par Mossoul pour expliquer ce qui s’est joué dans ces destructions.
Détruire le passé
En fracassant les œuvres d’art assyriennes du musée de Mossoul, les barbares se sont employés à ravager l’héritage mésopotamien, à effacer la fresque irakienne, syrienne et moyen-orientale. Ils ont détruit les mausolées de Tombouctou pour effacer de la mémoire les 333 saints de Tombouctou. Ils ont détruit les bouddhas de Bamyan et la cité antique de Palmyre.
Ne plus pouvoir se souvenir pour ne jamais savoir ; ignorer pour n’avoir comme choix que celui de se soumettre à une charia fantasmée, nourrie à l’intolérance et par le sang : telle est l’entreprise orwelienne de ces obscurantistes. Ce volontarisme politique de nier l’Histoire collective et d’empêcher l’exercice personnel de la Mémoire est le sommet du totalitarisme, ce point culminant où le passé et les origines n’existent plus.
Détruire la différence
Pour le musée de Mossoul, ce crime culturel a été perpétré au prétexte que « les Assyriens, Akkadiens et autres peuples avaient des dieux pour la pluie, pour les cultures, pour la guerre », autrement dit qu’ils étaient frappés d’idolâtrie. Au temps où Ibn al-Fârid écrivait son poème bachique, où l’Al-Andalus, apogée de la civilisation arabo-musulmane, rayonnait au milieu du sombre Moyen-Âge européen, les incroyants et tous les fidèles, indépendamment de leur culte, coexistaient dans une atmosphère singulièrement pacifique.
Croire différemment n’était pas synonyme de mort, et la recherche de la connaissance se révélait un leitmotiv permanent.
Les artistes avaient une liberté de création sans commune mesure, tandis que la pratique des arts était encouragée, voulue, désirée. Aujourd’hui, ces groupes ne savent prêcher que l’obscurantisme et le nihilisme, quand toute croyance qui diffère de sa pensée mortifère est mécréante, marquée du sceau de l’infamie.
Détruire l’humanité
En s’attaquant brutalement au patrimoine culturel du berceau de l’Humanité, la Mésopotamie, c’est bel et bien notre patrimoine universel qui a été rasé. Ils ont éteint le dernier souffle de vie de ces artistes qui siégeaient parmi nous à travers leurs œuvres. Au final, cela repose sur un « Tout » dévastateur, sauvage, inhumain dont est empreinte chacune des actions de ces groupes. Et malheureusement, au-delà de la destruction des œuvres, leurs premières victimes sont les musulmans qui ne vivent pas l’islam comme eux.
Venons-en aux mausolées de Tombouctou qui ont aussi fait l’objet de leur barbarie.
Un mausolée est un sanctuaire où repose un homme pieux qui, à bien des égards, est considéré comme wali par la Vox populi. Leurs constructions datent des XVII et XVIIIe siècle. Ils sont aussi le lieu de conservation des manuscrits de Tombouctou.
Les pèlerinages sur ces lieux – de l’avis majoritaire des savants musulmans – sont autorisés s’ils présentent un bénéfice ou si celui qui est enterré là est une personne (femme ou homme) dont le souvenir doit être perpétué.
Le verset 154 de la sourate 2 du Saint Coran nous rappelle, je le cite « Ne dites pas de ceux qui sont tombés au service de Dieu qu’ils sont morts. Non, ils sont bien vivants, mais vous n’en avez pas conscience ».
Puis, la fin Sourate 18/Verset 21 nous dit « Élevons sur eux un sanctuaire ».
Les savants du tafsir comme Suyuti dans son Jalalayn ou Fakr din Razi dans son Bayan s’accordent pour dire que ce verset évoque le sanctuaire construit autour de la tombe des 7 dormants, ce miracle commun aux chrétiens et aux musulmans.
En fait, on ne meurt que dans l’oubli des vivants. Ces mausolées témoignent de la vie de ces hommes hors du commun et permet de se remémorer leur œuvre comme modèle.
Mais finalement, ce n’est pas la peine de s’étendre sur l’interdit ou l’autorisé qui peuvent faire débat et dont je ne suis surtout pas une spécialiste.
On peut dire que ces questions ne se sont pas posées pour la destruction des Bouddhas de Bamyan, du musée de Mossoul, de la mosquée Al Nouri et son minaret penché, ou pour le site antique de Palmyre.
A la violence des décapitations s’est ajoutée la violence des destructions. D’ailleurs, cette dernière n’est que le prolongement de la première. Il s’agit de briser l’humain en brisant sa création. Dans la mesure où les fanatiques ne pouvaient décapiter ces morts honnis, il fallait décapiter leurs biens culturels, témoignages insupportables de leur expression, de leurs croyances, de leur postérité et donc de leur existence.
Alors pourquoi la destruction des mausolées ? il est vrai que le soufisme, réputé pour sa pratique tolérante de l’islam, est traditionnellement opposé à la violence de ces courants littéralistes et qu’ils deviennent de ce fait des cibles. Rappelons-nous l’attentats contre la mosquée Rawda en Egypte qui a fait plus de 300 morts.
Attachés à une lecture littérale du Coran,
les tenants de l’islam radical voient dans les enseignements soufis des dérives idolâtres qui ont valu aux mausolées leur destruction.
Revenons à Tombouctou qui est une ville emblématique, ayant une dimension mythique. Cette ville fondée au Ve siècle a connu son apogée économique au 15e et 16e siècles et fut un grand centre intellectuel de l’islam.
C’était un haut lieu de la diffusion de la culture islamique avec ces trois universités (Sankoré, Sidi Yahia et Djinjareyber)) comprenant près de 180 écoles coraniques et comptant 25 000 étudiants.
Carrefour où se négociaient les manuscrits, le sel venant du Nord, l’or, le bétail et les céréales provenant du Sud.
Les trois mosquées et les seize mausolées constituent l’ancienne grande cité de Tombouctou qui comptait au XVIème siècle plus de 100 000 habitants.
En 2012, la ville est classée par l’Unesco au Patrimoine mondial en péril après sa prise par des islamistes radicaux. Avec les mosquées historiques de la ville, ces mausolées témoignaient du « passé prestigieux de Tombouctou, rappelant qu’ils ont été des « lieux de pèlerinage au Mali et dans les pays limitrophes d’Afrique occidentale ». En représailles à cette inscription au patrimoine mondial en péril, Ansar Dine, franchise de Daesh, détruit les mausolées au nom de la lutte contre l’idolâtrie.
En 2015, les mausolées sont restaurés par l’Unesco grâce à un programme financé par plusieurs pays et institutions. La réhabilitation a été confiée à un groupe de maçons locaux spécialistes de l’architecture de terre. Ils ont reproduit les sites originaux en repérant des restes de murs, en consultant des photos, en interrogeant les anciens et en 2016 a eu lieu une cérémonie de sacralisation.
Il est intéressant de savoir que ce crime n’est pas resté impuni. La Cour pénale internationale sous la présidence de la courageuse Fatou Bensouda a qualifié les faits de « crimes de guerre ».
Que nous dit Ahmed Al Faqui Al Mahdi, l’exécutant des basses œuvres, qui a plaidé coupable devant la CPI au début du procès : « Il était de mon devoir de combattre les pratiques contraire à l’Islam ». « Il est clair aussi que j’avais la conviction que la destruction des mausolées n’avait pas d’assise juridique du point de vue de la Charia mais je n’avais pas de salaire, le groupe subvenait aux besoins de ma famille et j’étais sensibilisé au dogme wahhabite par le biais d’associations caritatives actives à Tombouctou ».
Au terme du procès, il a fini par présenter des excuses aux habitants de Tombouctou, aux citoyens maliens, aux descendants des saints. En déclarant : « Ma repentance est une démarche personnelle que je porte au fond du cœur, mais je ne pourrai prouver ma sincérité qu’en accomplissant des actes de réparation à ma sortie de prison ».
« J’ai porté préjudice à l’ensemble de la population : peul, songhaï, touareg et arabe. J’espère que tous accepteront de prendre la main que je leur tends pour emprunter la voie de la réconciliation ».
Lors de son procès, il a lancé un appel à tous les musulmans du monde et « les a enjoint à de ne jamais commettre ce genre d’action dont les conséquences sont terribles car elles n’ont aucune justification et ne peuvent engendrer aucun bénéfice ».
Devant sa repentance jugée sincère par le jury, le tribunal ne l’a condamné qu’à 9 ans de prison et à près de 3 millions d’euros pour le préjudice.
Alors, quelle leçon tirer de cette séquence ? Il nous faut impérativement construire en agissant, construire en préservant et construire en éduquant.
Construire en agissant
Le Conseil de Sécurité de l’ONU a adopté à l’unanimité, le 12 février dernier, la résolution n°2199 qui vise à tarir les financements en provenance de la vente d’œuvres d’art.
La question du patrimoine culturel est donc abordée sous deux prismes : la condamnation de la destruction du patrimoine et la nécessité de lutter contre la contrebande des objets culturels.
Construire en préservant
L’ampleur des pillages et des exactions culturelles rappelle les autodafés sur le Vieux Continent. Non seulement assister impuissants à la destruction d’un tel patrimoine archéologique, historique, scientifique et religieux est une déchirure, mais préserver ce patrimoine est un impératif.
Construire en éduquant
S’engager inexorablement en faveur de la culture, de l’éducation, ces remparts inébranlables contre l’ignorance, l’intolérance et l’extrémisme de toute nature est donc plus qu’impérieux.
L’énergie et les efforts doivent être déployés partout dans le monde afin que le patrimoine universel soit protégé, et surtout que les populations puissent retrouver l’accès à la richesse de leur culture, à laquelle nous devons tant, et à une éducation ouverte. C’est un acte de résistance face à la barbarie.
Ces roseaux si fragiles ne doivent jamais rompre.
Je vais conclure en vous laissant méditer ces paroles du Roi Mohamed VI : « Le Maroc est protégé par la baraka de ses Saints ».
Je vous remercie.
Bariza Khiari, ex-Vice-Présidente du SÉNAT,
Représentante de la France et Vice-Présidente d’ALIPH, (Alliance pour la réhabilitation du patrimoine dans les zones de conflits).
Encadré : Mme Bariza Khiari, une femme d’exception
Bariza KHIARI a été nommée par le Président de la République, en janvier 2018, sa représentante personnelle au Conseil de Fondation d’ALIPH et assure la fonction de Vice-Présidente de la fondation internationale de droit suisse, basée à Genève (Alliance internationale pour la réhabilitation du patrimoine dans les zones de conflits). Fonction qu’elle occupe jusqu’à ce jour.
Elle préside depuis 2016 l’Institut des Cultures d’Islam, établissement culturel de la ville de Paris. Elle en a fait un établissement qui a toute sa place dans l’espace culturel parisien, notamment à travers les expositions d’art contemporain et les concerts par la mise en lumière de jeunes artistes et créateurs, des conférences autour de la grande diversité des figures tutélaires des cultures d’islam et également par des programmes consacrés à la jeunesse.
Bariza Khiari, a été sénatrice de Paris de 2004 à 2017, conseillère du 16ème arrondissement de Paris. Vice-présidente du groupe socialiste du Sénat de 2008 à 2011, et première Vice-Présidente du Sénat de 2011 à 2014.
Membre de la commission des Affaires Economiques du Sénat de 2004 à 2011, elle a été rapporteure des textes sur le tourisme et les chambres de commerce et chef de file du groupe socialiste sur de nombreux textes de nature économique. En 2008, elle dépose une proposition de loi relative aux emplois fermés. Ce texte, voté à l’unanimité au Sénat, permettra en 2010, de supprimer la condition de nationalité, dans l’accès aux professions réglementées, notamment de santé : http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl08-176.html
Membre de la Commission des Affaires culturelles du Sénat de 2011 à 2014, elle a été rapporteure de la proposition de loi (qui a donné naissance à la base ReLire) et du projet de loi encadrant la vente en ligne des livres (dite anti-Amazon); Cette loi, d’apparence technique, est en réalité décisive dans l’économie du livre et du maintien de la librairie indépendante. Par ailleurs, elle s’avère une première riposte législative aux méthodes d’optimisation fiscale et de prédation économique des GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple). http://www.senat.fr/rap/l13-247/l13-247.html
En 2014, elle intègre la commission des Affaires Etrangères, de la Défense et des Forces Armées du Sénat. A ce titre, elle a été désignée membre de la Délégation Française à l’Assemblée parlementaire de l’OTAN.
En février 2016, elle a déposé plusieurs amendements au projet de loi constitutionnel visant à supprimer la déchéance de nationalité qui ont abouti au retrait de ce texte.
http://www.senat.fr/amendements/2015-2016/395/Amdt_43.html
Bariza KHIARI, née le 3 Septembre 1946 à Ksar Sbahi (Algérie) est de nationalité française. Elle est titulaire d’une maîtrise de marketing (CNAM), d’un 3ème cycle de gestion (IAE PARIS), et elle a également suivi le programme de formation continue à l’ENA (l’Etat et ses modes de gestion).
Elle a fait sa carrière au Ministère de l’Equipement, transports, tourisme. Avant d’intégrer le Sénat, elle été chef d’un service de l’Etat : Déléguée Régionale au Tourisme Paris Ile-de-France de 1999 à 2004.
Durant sa carrière, elle a été Commissaire du gouvernement d’un groupement d’intérêt public (Bourse Solidarité Vacances), membre du conseil d’administration d’un groupement d’intérêt économique (Maison de la France, aujourd’hui Atout France)
Membre d’honneur du Club 21ème siècle– association qui réunit les élites françaises issues de la diversité – Bariza KHIARI intervient régulièrement sur les questions d’égalité, de citoyenneté et de lutte contre les discriminations. Chef de file du texte créant la Haute Autorité de Lutte contre les discriminations. Elle est l’auteure de plusieurs amendements en faveur du CV anonyme, et sur la question de la diversité dans les médias. C’est à ce titre qu’elle a rejoint, en 2015, le comité de déontologie du groupe Nextradio, sur les questions de la représentation de la diversité dans les médias.
De 2004 à 20017, elle a été la marraine de l’opération « Talents des Cités » qui se tient tous les ans dans l’hémicycle du Sénat, et qui distingue les projets des jeunes talents des quartiers populaires. Elle est par ailleurs, co-fondatrice du Women’s Tribune d’Essaouira (version méditerranéenne et féminine du Women’s Forum de Deauville) où elle intervient chaque année sur la thématique de l’égalité Femme/Homme.
Présidente du groupe d’amitié France-Liban, elle est également membre d’autres groupes d’amitié des pays du Maghreb et du Moyen-Orient. Elle est, en tant que vice-présidente du groupe d’amitié parlementaire France/Maroc, en charge des aspects culturels, et notamment du partenariat du Sénat avec le Festival des Musiques Sacrées de Fès. Durant son mandat de vice-présidence de l’Assemblée des parlementaires de la Méditerranée, elle s’est engagée pour la construction d’un espace régional maghrébin de dimension économico-politique.
Co-fondatrice, du festival des Cultures Soufies de Fès, elle est régulièrement invitée en qualité d’intervenante au forum « Une âme pour la Mondialisation ». Bariza Khiari, qui se définit volontiers comme « farouchement laïque et sereinement musulmane », prône un Islam spirituel, libre et responsable. En février 2015, elle a publié, à la FONDAPOL, une note consacrée au soufisme, et des liens entre spiritualité et citoyenneté. (http://www.fondapol.org/etude/bariza-khiari-le-soufisme-spiritualite-et-citoyennete-quatrieme-note-de-la-serie-valeurs-dislam/). Cette note a fait l’objet d’une nouvelle publication au sein d’un ouvrage collectif intitulé Valeurs d’Islam, paru en février 2016 aux Presses Universitaires de France.
Membre du conseil d’administration du Projet Aladin – elle milite en faveur de l’amitié judéo-musulmane. Bariza KHIARI s’est engagée pour la défense des minorités religieuses au Proche-Orient. Elle est à l’origine de la création d’un groupe d’étude au Sénat sur ces questions.
Sélection de publications et autres textes de doctrine
23 octobre 2002, Libération, Français d’origine contrôlée
2003, Lutter contre les discriminations au sein du Parti Socialiste, contribution thématique
2005, L’Egalité d’abord ; contribution thématique
2005, Répondre au cri des banlieues ? , revue MELANPOUS :
2007, Contre l’ethnicisation de la question sociale, article paru dans Regards sur l’Actualité, édition de la Documentation française
2008, Forum de la Rénovation; Islam, République et Laïcité
Avril 2008, La diabolisation de l’Islam est une impasse, Le Monde
2008, Le clip :
2011 : initiatrice de l’Appel en faveur des chrétiens d’Orient, Pas en notre nom !
2012, République et Islam, Contribution thématique
2013, Contribution au groupe de travail sénatorial pour France Stratégie « Quelle France dans 10 ans ? » :
2014, De quoi le vote musulman est-il le nom ? Mediapart, 23 avril 2014
2014, « Nous sommes tous des sales français ! », appel paru dans Libération
2015, Soufisme ; spiritualité et citoyenneté, Note de la FONDAPOL :
2016, Le patrimoine en danger, Médiapart
2018 La culture contre la barbarie, la Revue Diplomatique
Distinctions : Chevalier dans l’ordre national du mérite, Médaille du tourisme,
Wissam Alaoui (Maroc)